Bilan positif pour le Symposium international sous le thème « Les musées face à l’esclavage »

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L’association Kartyé Lib Mémoire Patrimoine océan Indien (MPOI) a accueilli à La Réunion, du 11 au 16 avril 2023, sous la forme d’un symposium, la 5ème édition de ses rencontres internationales annuelles intitulée :  » les musées face à l’esclavage : le défi de réconcilier les récits sur un héritage commun « . Cette année, les organisateurs ont fait coïncider l’événement avec le Toussaint Louverture Day qui commémore tous les 7 avril, depuis 2019, le rôle du général franco-haïtien dans l’histoire mondiale.

Les conférences, ouvertes au public, ont réuni plus de 300 personnes autour d’une cinquantaine de spécialistes venus du monde entier ou en visioconférence : Amériques, Caraïbes, Afrique, Asie, Europe et, bien sûr, océan Indien (Seychelles, Madagascar, Comores, Mayotte, Maurice, La Réunion),. Comme chaque année, Kartyé Lib MPOI a veillé à constituer un panel d’intervenants issus de divers horizons : des universitaires de toutes les sciences humaines, dont une majorité d’historiens, mais aussi des experts en muséographie, hauts responsables de structures muséales, diplomates… qu’ils en soient toutes et tous chaleureusement remercié(e)s pour la qualité de leur contribution. La Réunion n’avait jamais reçu une délégation aussi nombreuse sur les questions de l’histoire coloniale et de l’esclavage, notre histoire. Plusieurs intervenants ont salué la capacité de Kartyé Lib MPOI à organiser et à pérenniser un événement qui acquiert désormais une envergure mondiale.

Les conférences et les débats se sont déroulés les mercredi 12, jeudi 13, vendredi 14 et samedi 15 avril à la médiathèque Auguste-Lacaussade de Saint-André, et le dimanche 16 avril, au centre et Cie Ismaël Aboudou, à Saint-Denis.

Un Toussaint Louverture Day sous l’actualité tragique du chaos haïtien

La 5ème édition réunionnaise du Toussaint Louverture Day continue d’éclairer l’histoire contemporaine sur l’importance mondiale de la révolution haïtienne, et, de plus en plus, sur le rôle de celles et ceux qui l’ont conduite. Nous n’évoquerons ici, à regrets, que quelques-unes des quatorze conférences de la seule journée du jeudi 13 avril. L’écrivain canadien Gabriel Osson présente l’action et l’influence de Suzanne Simon Baptiste Louverture, compagne de Toussaint, dont il a retrouvé la descendance dans le sud-ouest de la France. Le géographe franco-haïtien Jean-Marie Théodat dresse un portrait de la personnalité du général surnommé par certains le  » Napoléon Noir « . Il lui attribue trois vertus principales : son intelligence, sa bonté naturelle et son courage ont contribué à son action d’homme d’État. Jérémy Boutier, historien du droit et éditeur, décrit la société coloniale de Bourbon des années 1820-1830 et la justice expéditive des magistrats créoles, ou apparentés, à l’égard des esclaves. Il présente le procès de l’esclave Vincent accusé du viol d’une blanche. Jugé non-coupable, faute de preuve, il est condamné à mort en appel, toujours sans aucune preuve. L’affaire remonte à Paris où le magistrat Delamardelle, natif de Port-au-Prince (Haïti), plaide l’acquittement de Vincent. Celui-ci est rejeté au motif de préserver l’ordre public à Bourbon. La justice coloniale finit par déporter l’esclave à l’île Sainte-Marie (Madagascar)… L’historien réunionnais Albert Jauze explore un inventaire après décès de la famille Dominjod, dont une branche a fui Haïti pour se réfugier à Bourbon où elle a laissé son nom à un quartier de Saint-Denis. Prosper Eve (La Réunion), Didier Michel (Maurice), Shihan de Silva Jayasuriya (Sri Lanka), parmi d’autres, analysent les résistances à l’esclavage dans l’océan Indien, en résonance avec la révolution haïtienne. D’un bout à l’autre de l’Empire français, une multitude de liens, certes ténus, commence à apparaître. Ils forment la trame de l’histoire coloniale globale à écrire au XXIème siècle.

Toutes les séances étaient ouvertes au grand public. Certaines ont fait salle comble. D’autres ont pâti d’un réel souci de climatisation de l’auditorium de Saint-André ! Les conférences du Toussaint-Louverture Day ont tout particulièrement intéressé la quarantaine de professeurs mobilisés par Mme Corine Deniaud, IA-IPR d’histoire-géographie à l’académie de La Réunion. Nous l’en remercions vivement. Au contact de la communauté de chercheurs internationaux réunis à Saint-André, une occasion unique était donnée aux enseignants de réfléchir et de travailler à mieux intégrer l’histoire coloniale dans leurs cours de collège et de lycée.

Dans le même esprit, Mme Indravati Félicité, professeure d’histoire moderne, à l’université de La Réunion, a mobilisé ses étudiants pour assister aux conférences. Nous l’en remercions d’autant plus qu’elle a également participé au symposium en sa qualité de chercheure, membre du comité scientifique de l’organisation.

La commémoration de la révolution haïtienne a aussi donné lieu à un retour sur l’actualité du pays. Haïti a replongé dans le chaos, depuis l’assassinat de son président de la République, Jovenel Moïse, en juillet 2021. Marie-Lyne Champigneul, la présidente de Kartyé Lib MPOI, a tenu à relayer le témoignage de l’une des conférencières invitées, empêchée de quitter Haïti pour venir à La Réunion. En voici quelques extraits :  » le chaos règne sur tout le territoire et tous les citoyens tremblent de peur, ne comprenant pas ce qui arrive à ce pays. Nous ne sommes pas dirigés et les gangs armés font la loi. (…) Sous les yeux de l’ONU, des grandes puissances et des Eglises, on a vu la formation de ces multiples gangs armés, qui s’approvisionnent chez des importateurs (gens au pouvoir ou hommes d’affaires puissants) de milliers de containers remplis d’armes de guerre provenant des USA. (…) Ma soeur a été kidnappée chez elle, dans sa cuisine à 5h 45. (…) Les kidnappeurs en chef ont, dans tous les quartiers, des courtiers qui assurent la surveillance des victimes potentielles : ils savent tout de

vous. (…) Nombreux sont ceux qui refusent de quitter leurs maisons, pensant pouvoir les défendre en cas d’attaque. Une guerre civile de grande envergure s’annonce.  » Au XIXème siècle, Haïti a payé au prix cher son indépendance, à la France tout d’abord, puis, aux États-Unis. Mais la violence endémique de la société haïtienne interroge aussi les observateurs. Comment l’ancienne  » perle des Antilles « , la première société noire à avoir aboli l’esclavage moderne, à s’être émancipée du système colonial, où ont émergé des élites révolutionnaire, républicaine, impériale, des élites intellectuelles et artistiques, comment Haïti ne parvient-elle jamais à se pacifier ? Ici, peut-être plus qu’ailleurs, la complexe question des réparations pour l’esclavage pourrait ouvrir la voie vers un processus de réconciliations externe et interne. Pour l’heure, la population souffre.

Hauteur intellectuelle et émotions

Les trois journées suivantes ont été aussi intenses. Nous saluons et nous remercions les modérateurs qui ont grandement contribué à la qualité et au rythme des débats : Ali Moussa Iyé, Martial ZE Belinga, Augustin Holl, Lisa Aubrey, Ibrahima Seck, tous membres de notre partenaire Afrospectives. Le modédérateur Hamady Bocoum, directeur général du musée des civilisations noires de Dakar. Nous remercions également nos autres partenaires tout aussi indispensables et impliqués : Mactar Ndoye, représentant du Haut-Commissariat aux Droits de l’Homme et Alissandra Cummins, directrice de la Barbados Museum and Historical Society, qui est également intervenue au nom de Mme Elisabeth Silkes, directrice exécutif de la coalition internationale des sites de conscience (Etats-Unis), sans oublier la présence de Madame Chereda Grannum du ministère de la Barbade.

Les huit conférences du vendredi ont fait apparaître la nécessité impérative de changer de perspectives et de renouveler les approches et les récits sur l’esclavage. Les initiatives se multiplient à travers le monde. Chacun-e des intervenants du symposium en témoigne. Les échanges étaient organisés sous la forme de trois tables rondes : la première, consacrée aux expériences dans l’océan Indien, la seconde, aux expériences en Afrique continentale, la dernière, aux expériences dans les Amériques et aux Caraïbes. Mais l’offre culturelle actuelle paraît en retard par rapport à l’avancée de la recherche… Le samedi, une trentaine de spécialistes partageait leurs pratiques et leurs réflexions sur la question de comment interpréter et représenter l’esclavage. Le dimanche, le Centre & Cie Ismaël Aboudou (Saint-Denis) accueillait de façon plus conviviale la quatrième et ultime table ronde sur le thème : les musées comme espace de débat démocratique et lieu de résilience, de guérison et de réconciliation. Peu à peu, l’émotion, souvent affleurante les jours précédents, a fini par se libérer jusqu’à basculer dans un mix de musiques tropicales qui a emporté les esprits et les corps des plus austères des conférenciers !

Le format des tables rondes et des conférences, encadrées par de nombreux temps de parole laissés au public, ont permis aux débats d’avoir lieu. Nous avons comptabilisé 20 temps d’échanges, de 15 à 30 mn, souvent davantage, soit une bonne dizaine d’heures d’échanges véritables ! Beaucoup ont pu exprimer une émotion, fondre en larmes, interroger un expert, apporter des suggestions. Aucune question n’a été éludée. Des positions fortes ont été exprimées quant à la responsabilité des anciennes puissances coloniales, dont la France. La tonalité générale était d’en appeler au sens des responsabilités des décideurs, dans un esprit de concorde. Le défi du symposium n’était-il pas de réconcilier les récits sur un héritage commun : la question de l’esclavage ? Il a aussi été pointé les difficultés internes propres à chaque société post-coloniale à aborder son histoire de l’esclavage.

Les absents ont toujours tort… !

Cette problématique du déni historique a d’ailleurs pris un tour particulier, lorsque, à plusieurs reprises, des intervenants se sont demandés, sur un ton ironique ou consterné, où étaient les élus réunionnais. Leur absence interroge en effet. Il a été suggéré qu’ils avaient délibérément choisi de ne pas venir pour s’éviter d’être interpelés sur des questions réputées sensibles. Or, la teneur et l’atmosphère des débats de cette année, comme des années précédentes, atteste que les organisateurs cherchent à ouvrir la discussion et non pas à polémiquer. Mais, alors qu’il leur était offert de rencontrer, – à La Réunion -, un plateau d’une cinquantaine d’experts internationaux, auprès de qui nos élus absentéistes forgent-ils leur réflexion ? Sur Youtube ? Wikipedia ? Visionnent-ils des tutos ? Souhaitent-ils réellement s’ouvrir à l’histoire mondiale de l’esclavage pour s’informer des questionnements et des pistes de réponses contemporaines ? Elles sont pourtant nombreuses et fécondes !

Plus problématique encore… Où étaient les responsables des musées de La Réunion, également invités ?! Ne feignons pas de croire qu’ils aient tous été retenus par des impératifs d’agenda. Soit, ils se sont donné le mot, soit, ils ont reçu la consigne d’ignorer l’événement. Mais alors, pourquoi ? Si leur absence était de leur seul fait, cela relèverait de la faute professionnelle ! Faut-il regarder ailleurs ? Qui a la main sur la culture à La Réunion ? Cette main semble avoir mis ses hauts responsables de structures muséales en porte-à-faux et leur a fait rater une occasion facile d’actualiser leurs connaissances scientifiques. En une semaine, sans prendre l’avion, ils auraient pu nouer des liens professionnels qui leur auraient ouvert le réseau mondial  » histoire coloniale, histoire de l’esclavage, musées de l’histoire coloniale et de l’esclavage… » que Kartyé Lib est en train de constituer. Quel dommage ! Partie remise ? A l’année prochaine ?

Pour finir sur une note positive, nous souhaitons remercier

Nos remerciements vont en premier lieu à toute l’équipe du service culturel de la mairie de Saint-André qui a déployé toute une logistique pour accueillir comme il se doit les universitaires internationaux, Notamment Madame Anaëlle Gunet, le service technique de la médiathèque Auguste Lacacaussade, le service informatique de la mairie de Saint-André. Sans oublier les contributeurs financiers : le Conseil Régional, la DAC-Réunion et le Conseil Départemental.

Enfin nous remercions les nombreuses associations qui nous accompagnent et nous soutiennent par leurs contributions humaines matérielles. Chacune d’elles fait que nos projets actuels et futurs peuvent se réaliser. Merci à la Fédération tamoule de La Réunion, au Fonds de Dotation « Mascareignes », à la Délégation Départementale de Mayotte à La Réunion, au Centre et Cie Ismaël Aboudou.

 

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