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Jean-Yves Langenier : « La transparence ? Tereos, Albioma ne connaissent pas »

4 min de lecture

« A moins d’un mois du début de la campagne sucrière, les négociations de la Convention canne n’ont toujours pas abouti. Le prix de la canne récoltée par les planteurs et achetée par Tereos n’est donc pas encore fixé.

Deux importantes manifestations, organisées à une semaine d’intervalle par les planteurs réunis en Intersyndicale, ont montré l’exaspération de nombre d’entre eux. Le découragement monte, ce qui est de nature à fragiliser la filière.

Si la filière canne est en grand danger, toute l’économie est concernée. Ce sont près de 18.000 emplois répartis dans toutes les communes de La Réunion, y compris au Port – la seule commune urbaine de l’île – où se situent des sites industriels de transformation du sucre, et où transite la totalité du sucre exporté de La Réunion.

Depuis de nombreux mois, on sentait monter l’inquiétude des planteurs relayée par les syndicats. Plusieurs années de sécheresse et la hausse des prix des intrants étaient à l’origine d’importantes difficultés. A ce titre, les planteurs ont obtenu de l’État cette année la garantie d’une aide supplémentaire annuelle d’un montant de 14 millions d’euros jusqu’en 2027, date de fin de la Convention canne actuellement en négociation. Sur la même période, l’industriel Tereos bénéficiera du maintien de l’aide compensatoire à la suppression du quota sucrier depuis 2017, soit 28 millions d’euros par an. Cette aide vise à effacer le déficit de compétitivité du sucre réunionnais sur le marché européen vis-à-vis du sucre de betterave.

L’accélération de la hausse des prix des matières premières et du fret maritime ont d’importantes répercussions sur le coût des intrants. Dans ces conditions, il est compréhensible que les planteurs obtiennent une revalorisation du prix de la canne à sucre payé par Tereos. L’industriel la refuse, affirmant que sans un soutien supplémentaire des pouvoirs publics, il ne pourra pas garantir le prix d’achat de la canne à sucre jusqu’en 2027. Même son de cloche du côté d’Albioma, qui utilise la bagasse des cannes traitées dans les usines sucrières pour produire une partie de l’électricité vendue ensuite à EDF, et qui alimente la recette bagasse versée aux planteurs.

La position des industriels interroge.

Concernant Tereos, il faut constater que sur le marché mondial ou européen, le prix du sucre ne cesse d’augmenter depuis 2019. La guerre en Europe accentue cette tendance car elle implique directement dans le conflit deux importants pays exportateurs de denrées alimentaires dont le sucre. Dans le même temps, d’autres pays exportateurs importants réduisent leurs livraisons. C’est notamment le cas du Brésil qui veut consacrer plus de cannes à la production d’éthanol pour diminuer sa dépendance aux importations de pétrole, compte tenu de la hausse importante du prix du baril. L’Inde a décidé de suspendre ses exportations pour garantir sa souveraineté alimentaire en ces temps incertains. Ces seuls éléments augurent des surprofits pour les producteurs de sucre, dont Tereos fait partie.

Concernant Albioma, la bagasse est désormais une matière première d’autant plus importante que les centrales thermiques du Gol et de Bois-Rouge ne peuvent plus brûler du charbon. Cela conduit Albioma à remplacer le charbon par de la biomasse importée sous forme de pellets de bois. Or, 1,8 million de tonnes de cannes récoltées produisent environ 600.000 tonnes de bagasse, une biomasse locale utilisée par les centrales d’Albioma à La Réunion et qui n’a donc pas besoin d’être importée d’un autre continent.

Alors que le coût de l’énergie augmente partout dans le monde, comment expliquer que la source d’énergie produite par les planteurs ne suive pas la même tendance ?

 

Ces éléments d’analyse de la conjoncture internationale sont en décalage avec la position des industriels. Pour rétablir la confiance nécessaire à des discussions sereines et rapides, il est nécessaire que les industriels doivent faire preuve de la plus grande transparence quant aux profits qu’ils tirent de la canne à sucre produite par les planteurs de La Réunion.

Par exemple chez nos voisins à Maurice, le Syndicat du sucre publie un rapport annuel où figurent les bénéfices de chaque valorisation de la canne à sucre, ainsi que les marchés d’écoulement.

Cette exigence de transparence demandée aux industriels est d’autant plus importante que :

– des dizaines de millions d’euros d’argents publics sont investis chaque année dans la filière et bénéficient pour une part importante aux industriels ;

– les revenus des planteurs liés à la vente de canne à sucre sont parfaitement connus par les industriels et l’État. Il n’est pas possible que l’on demande aux planteurs la transparence, mais que Tereos et Albioma ne fassent pas la même chose concernant les bénéfices uniquement réalisés à La Réunion.

Dans une motion adoptée à l’unanimité mercredi 22 juin, les conseillers départementaux ont pris fait et cause pour les planteurs et réclament la revalorisation de l’ensemble des produits de la canne, dont naturellement le sucre, la bagasse… et demandent également le soutien renforcé de l’État et de l’Union européenne pour conforter la filière.

Faut-il rappeler que la dernière mission des inspections générales diligentée par l’État sur la filière canne-sucre-énergie-rhum a pointé du doigt la « situation monopolistique » de Tereos générant la méfiance du monde des planteurs. Cette mission a notamment préconisé une plus grande transparence financière de l’entreprise Tereos.

Cette transparence permettra d’arriver d’autant plus facilement à la répartition la plus équitable des bénéfices produits par la canne à sucre entre tous les acteurs de la filière. Elle sera aussi un signal important adressé à tous les partenaires : à la croisée des chemins, les acteurs de la filière canne auront su se rassembler autour de l’essentiel, garantir la survie des planteurs sans qui la canne à sucre et toute l’industrie qui en découle ne peuvent exister. »

 

Jean-Yves Langenier

Conseiller départemental du Port

 

 

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