Lettre ouverte à Mme la Présidente du Conseil Régional

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Madame la Présidente,

Depuis près de 10 ans, nous nous battons pour tenter de mettre fin à la tuerie des requins tigres et bouledogues dans les eaux réunionnaises.
Las, sous la pression d’une minorité de pratiquants du surf, souvent agressifs voire violents – auxquels vous avez-vous-même été confrontée par le passé – l’Etat français, via le Centre Sécurité Requin (CSR), a mis en place des mesures de destruction de plus en plus drastiques de ces espèces. Il vient d’ailleurs de reconduire jusqu’en 2023 l’arrêté permettant de pratiquer la pêche aux requins dans les zones les plus protégées de la réserve marine.
Depuis le début de la pêche en 2013 (données du site www.info-requin.re), ce sont ainsi pas moins de 537 requins tigres et bouledogues qui ont été tués et conduits à l’équarrissage. Un scandaleux gaspillage de biodiversité.

Alors que vous reprenez les rênes de la Région, et vous trouvez confrontée à maintes priorités, nous aimerions rappeler les principaux aspects de ce dossier :

• Depuis le début de la fameuse « crise requin » en 2011, les accidents ont surtout concerné des surfeurs. Etant donné que les activités de baignade ou de surf ne sont plus autorisées, depuis plusieurs années, qu’à l’intérieur d’espaces dûment protégés (Zonex de surf, filets de protection pour la baignade), il est donc parfaitement absurde et inutile de continuer à massacrer des requins.

• La « crise requin » est avant tout une crise bouledogue, selon les propres termes du responsable scientifique du CSR. Les requins bouledogues sont responsables de la quasi-totalité des accidents. Pourtant les bouledogues ne représentent qu’une proportion infime des prises : 6%, contre 94% pour les autres espèces : 29% de requins tigres (presque 5 fois plus), et surtout…..65% de prises accessoires !!
Le milieu scientifique est, dans son ensemble, opposé à la destruction des requins tigres, qui vivent essentiellement au large. Pourtant, sous la pression de son ancienne vice-présidente Yolaine Coste, animée d’une haine irrationnelle contre les requins, le Conseil Régional s’est toujours acharné à empêcher leur relâcher.
Les prises accessoires (espèces non ciblées comme les barracudas, carangues, mérous, raies, autres espèces de requins, etc….) : d’une part sont des espèces essentielles au fonctionnement de l’écosystème récifal (prédateurs apicaux), d’autre part sont souvent des espèces menacées et inscrites à ce titre sur la liste rouge de l’UICN (exemple : grande raie guitare, requins marteaux, tortue verte, etc….). C’est ainsi qu’entre le 29 mars 2018 et le 30 juin 2021, le CSR a pêché 55 requins marteaux halicorne – en danger critique d’extinction – contre seulement 48 requins bouledogues !
Le CSR ne cesse de vanter un taux de mortalité des captures accessoires de 17%. Pourtant chez les espèces fragiles comme les requins marteaux, il peut atteindre 37 à 80% si on y ajoute les individus relâchés « fatigués ». Ces derniers ont en effet peu de chances de survie à court terme, du fait des conséquences de la capture.
Au vu des conséquences désastreuses de la pêche aux requins sur l’environnement marin, il apparaît donc urgent de mettre un terme définitif à cette pratique. Comme le souligne le Conseil Scientifique de la RNNMR, celle-ci « ne peut que fragiliser la timide restauration en cours de l’écosystème marin récifal réunionnais ».

• Pire encore, et le Conseil Scientifique de la RNNMR vient de le démontrer, en alertant les autorités et les médias à ce sujet : le CSR – protégé ouvertement par l’Etat – s’affranchit de toutes les règles légales et braconne sans vergogne depuis 4 ans dans les sanctuaires les plus protégés de la réserve marine ! Et loin d’assumer ses responsabilités, ce même CSR fait tout pour étouffer l’affaire (données effacées du géo-portail Sextant Ifremer)……
Dans la démocratie qui est la nôtre, dans un Etat de droit, et dans le cadre d’un programme financé par l’argent du contribuable, de tels actes sont intolérables !

En fin de compte on en vient à se demander quelles sont les motivations qui conduisent le CSR à violer systématiquement la loi. La réponse nous semble claire.
Depuis le début de la pêche aux requins en 2013, l’Etat a injecté des dizaines de millions d’euros pour tenter de résoudre cette « crise », de l’argent en grande partie distribué au Comité des Pêches (CRPMEM) puis au CSR. Tout cela pour financer la pêche aux requins mais aussi les gros salaires des cadres du CSR. Arrêter la pêche, c’est remettre en question l’existence même du CSR et donc les salaires en question.
Nonobstant le fait que les rétributions des pêcheurs sont également très conséquentes ; exemples : 300€ par palangre mouillée selon Le Monde avec un budget annuel de plus de 800 000€ uniquement pour les opérations de pêche. Le seul coordonnateur du programme de pêche – un ancien surfeur de haut de niveau – était rémunéré 5000€ mensuels en 2020 alors même que le CSR a commis depuis mars 2018 près de 166 infractions à la réglementation dans la réserve marine. Tout se réduirait, en fin de compte, à une histoire de gros sous : plus on pêche, plus on a d’argent ? La « soupe » serait-elle trop bonne pour remettre en question ce programme absurde ?

Madame la Présidente, dans le financement du budget prévisionnel 2020 du CSR (1 875 370€), la contribution de la Région Réunion s’élevait à 497 000€, dont 300 000€ de subventions au CSR et 197 000€ de subventions pour le programme de pêche.
En ces temps de disette financière, que la crise sanitaire a considérablement aggravée, alors même que des chantiers urgents et très coûteux comme la nouvelle route du littoral peinent à trouver une issue, est-il vraiment raisonnable de consacrer autant d’argent à tuer des requins ?!

Avec une participation de presque 30% au budget du CSR, alors même qu’elle est aujourd’hui endettée à hauteur de 231% (1,241 milliard d’euros), la Région dispose d’un argument imparable pour faire entendre la voix de la raison :
– Mettre un terme à cette tuerie des requins, inutile pour la sécurité humaine et extrêmement nuisible à nos écosystèmes coralliens,
– Consacrer désormais tout cet argent à des dossiers plus prioritaires : la préservation de l’environnement marin de la Réunion en est un. Il est inconcevable par exemple que le budget du CSR, dont le seul but est de tuer du requin et de protéger quelques rentes de situation, soit le double de celui de la RNNMR qui a pour vocation l’intérêt général et la sauvegarde de notre patrimoine marin !

Au vu des solutions non létales efficaces qui existent déjà et qui ont été mises en œuvre à la Réunion (dispositif Vigie Requin Renforcé, équipements de protection individuels et surveillance de surface pour le surf ; filets de protection pour la baignade), il n’est nul besoin de continuer à tuer des requins.

En mars 2017, M. Didier Robert, votre prédécesseur à la tête de la Région, décidait de soumettre la RNNMR à un odieux chantage : lui supprimer 230 000€ de son déjà maigre budget, pour la contraindre à accepter la pêche aux requins tous azimuts dans les zones de protection renforcée de la réserve marine.

Nous sommes confiants dans le fait que votre connaissance approfondie des priorités économiques et sociales de la Réunion, et votre amour pour votre « petit pays », vous conduiront Madame la Présidente à de plus justes décisions.

Dans l’attente de votre réponse, nous vous prions d’agréer Madame la Présidente, l’expression de nos sentiments respectueux.

Collectif d’Associations
Sea Shepherd Conservation Society – Longitude 181
One Voice – Association pour la Protection des Animaux Sauvages (ASPAS)
Sauvegarde des Requins – Requins Intégration
Tendua pour la sauvegarde de la biodiversité
Vivre Activement pour Garder Un Environnement Sain (VAGUES)

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