Tribune d’André Oraison : « plaidoyer pour une suppression de l’amendement Virapoullé »

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Le titre exact de la tribune est la suivante : « Plaidoyer pour une suppression diligente du méphistophélique amendement Virapoullé . (Une réforme constitutionnelle nécessaire et prioritaire pour La Réunion : la suppression de l’alinéa 5 de l’article 73 de la Constitution) »

Rappelons qu’André Oraison est Professeur des Universités, Juriste et Politologue.
« Trois territoires ultramarins régis par l’article 73 de la Constitution de la Ve République sont
désormais dotés d’une collectivité territoriale unique (CTU), au lieu et place d’une région
monodépartementale : la Guyane, la Martinique et Mayotte. Deux autres territoires également soumis à l’article 73 – la Guadeloupe et La Réunion – auraient peut-être intérêt à s’engager dans cette voie en application de la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 qui fixe le nouveau statut des départements et régions d’outre-mer (DROM) 1 . C’est le point de vue exprimé le 4 octobre 2012 par Paul Vergès à l’occasion des États généraux de la Démocratie territoriale, organisés au Sénat. Après avoir constaté que La Réunion est une région monodépartementale depuis l’entrée en vigueur de la loi de
régionalisation du 31 décembre 1982 avec tous les effets négatifs que ce statut comporte, le sénateur communiste avait déclaré que, dans l’intérêt bien compris de La Réunion, « il nous faut donc faire comme en Martinique et en Guyane, qui ont opté pour une collectivité territoriale unique » 2 .
Cependant, avant la concrétisation à La Réunion d’une réforme statutaire qui ne semble pas encore mûre dans l’opinion publique réunionnaise, une révision plus ciblée de la Constitution s’impose.
I. Pour que les responsables élus de La Réunion aient les mêmes compétences et responsabilités que leurs homologues antillais, guyanais et mahorais, il faut en effet que soit mis fin, au préalable, à l’incompréhensible amendement constitutionnel déposé par Jean-Paul Virapoullé, à l’époque sénateur-maire UMP de Saint-André, et qui, après avoir été adopté par le Parlement, vise en
fait à limiter de manière exorbitante, dans un alinéa 5 de l’article 73, l’ampleur de la décentralisation à La Réunion, alors même que cette réorganisation administrative a été souhaitée et obtenue dans les autres DROM.
Après avoir posé le principe selon lequel « les lois et règlements sont applicables de plein droit » dans les DROM, l’alinéa 1 er de l’article 73 de la Constitution précise que ces lois et règlements « peuvent faire l’objet d’adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces
collectivités ». Cet alinéa n’est pas original car il était déjà, pour l’essentiel, contenu dans le texte initial de la norme suprême du 4 octobre 1958. D’emblée, il est apparu logique au Constituant que le droit commun métropolitain puisse faire l’objet de mesures d’adaptation outre-mer pour tenir compte des situations spécifiques locales. C’est dire que l’alinéa 1 er a vocation à s’appliquer, à l’origine, dans tous les DROM, y compris celui de La Réunion. Il en est de même de l’alinéa 2 de l’article 73, bien que celui-ci soit plus novateur comme on peut le constater : « Ces adaptations peuvent être décidées
par ces collectivités dans les matières où s’exercent leurs compétences et si elles y ont été habilitées, selon le cas, par la loi ou par le règlement ». Par contre, l’alinéa 3 de l’article 73 de la Constitution a, posé un très grave problème de conscience au sénateur Jean-Paul Virapoullé. En voici la teneur : « Par
dérogation au premier alinéa et pour tenir compte de leurs spécificités, les collectivités régies par le présent article peuvent être habilitées, selon le cas, par la loi ou par le règlement, à fixer elles-mêmes

1 A. ORAISON, « Quelques réflexions générales sur l’article 73 de la Constitution de la Ve République, corrigé et complété par la loi
constitutionnelle du 28 mars 2003. Les possibilités offertes aux départements d’outre-mer (Guadeloupe, Guyane, Martinique) en matière
d’habilitation législative et l’exception insolite du département de La Réunion », RFDA, juillet-août 2003, n° 4, p. 684-693.
2 ANONYME, « Contribution de Paul VERGÈS aux États généraux de la Démocratie territoriale », Témoignages, vendredi 5 octobre
2012, p. 3.

2- les règles applicables sur leur territoire, dans un nombre limité de matières pouvant relever du domaine de la loi ou du règlement ». Le Constituant reconnaît ainsi aux DROM la possibilité d’adopter des règles législatives et
règlementaires à la suite d’une habilitation émanant, selon le cas, du Parlement ou du Gouvernement, mais uniquement « dans un nombre limité de matières pouvant relever du domaine de la loi ou du règlement ». Afin d’éviter tout risque de dérive institutionnelle, des « verrous constitutionnels » ont été
prévus par l’article 73 de la Constitution, non seulement dans le troisième alinéa que nous venons de citer, mais plus encore dans le quatrième, ainsi rédigé : « Ces règles ne peuvent porter sur la nationalité, les droits civiques, les garanties des libertés publiques, l’état et la capacité des personnes,
l’organisation de la justice, le droit pénal, la procédure pénale, la politique étrangère, la défense, la sécurité et l’ordre publics, la monnaie, le crédit et les changes, ainsi que le droit électoral ».
II. Bien que nombreux et importants, ces « verrous constitutionnels » n’ont pas paru suffisants ou convaincants à Jean-Paul Virapoullé. Aussi, le sénateur saint-andréen a-t-il jugé bon de déposer unamendement constitutionnel que l’on peut qualifier d’amendement « intégriste », dès lors qu’il vise à compléter l’article 73 de la Constitution par l’adjonction d’un alinéa additionnel – l’affligeant alinéa 5
– avec pour objectif de refuser un pouvoir normatif local et donc la possibilité de voter des « lois pays » sur le territoire de La Réunion, car de telles lois risquent de comporter – selon Jean-Paul Virapoullé – une « menace d’autonomie législative », une menace elle-même assimilée par le sénateur
« à l’antichambre de l’aventure et de l’indépendance » 3 . Adopté par le Parlement après de nombreuses péripéties et malgré la désapprobation de Brigitte Girardin, alors ministre des Outre-mer, l’irrationnel et saugrenu « amendement Virapoullé » a conduit au polémique cinquième alinéa de l’article 73 de la norme suprême, ainsi formulé en des termes autant lapidaires que péremptoires : « La disposition prévue aux deux précédents alinéas n’est pas applicable au département et à la région de La Réunion ».
III. En vérité, le cinquième alinéa de l’article 73 est considéré, à juste titre, comme une « hérésie constitutionnelle ». C’est notamment l’opinion d’Huguette Bello qui a été l’une des premières élues à dénoncer l’amendement Virapoullé à l’Assemblée nationale et ce, dès le 20 novembre 2002 : « À La Réunion, des représentants politiques se sont mis à jouer sur les peurs et les fantasmes et à faire revivre la crainte du largage. Ils rejettent toute idée d’évolution. Pire, ils ne veulent pas des possibilités d’adaptation ». Au nom du PCR, la formation au sein de laquelle elle milite encore en 2002, Huguette Bello devait préciser son exaspération en des termes particulièrement bien frappés.
Les voici : « C’est la cohérence même de la réforme qui est mise à mal. C’est l’Histoire qu’on insulte. C’est l’avenir qu’on fige. Et lorsque les difficultés apparaîtront pour adapter des dispositions législatives aux réalités locales, il n’y aura pas d’autre alternative qu’une évolution statutaire. Est-ce le but recherché » 4  ?
Synonyme d’immobilisme par ses nombreux contempteurs, la prétendue garantie imposée dans la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 par le sénateur Jean-Paul Virapoullé et qui s’applique uniquement à La Réunion est, en réalité, préjudiciable aux intérêts bien compris de sa population. Il en est ainsi, dès lors qu’elle empêche ses représentants élus de disposer d’un pouvoir législatif et
règlementaire par habilitation, selon le cas, du Parlement ou du Gouvernement dans une série de matières, certes, limitées en nombre et non régaliennes de l’État, mais néanmoins hautement stratégiques comme l’accès au foncier, la fiscalité locale, le développement des diverses sources d’énergie renouvelables, la préservation de l’environnement terrestre et marin, la sauvegarde du
patrimoine culturel local, le transport public intérieur de passagers et de marchandises ou encore la
3 D. CHASSAGNE, « Débat sur la décentralisation hier soir au Sénat. L’amendement Virapoullé adopté », Le Quotidien de la Réunion,
jeudi 7 novembre 2002, p. 3.
4 ANONYME, « Examen du projet de loi constitutionnelle sur l’organisation décentralisée de la République », Témoignages, jeudi 21
novembre 2002, p. 2.

3formation professionnelle et l’emploi. Faut-il ici préciser, pour enfoncer le clou, que le pouvoir normatif local, consacré par l’alinéa 3 de l’article 73 de la Constitution, a déjà donné des résultats encourageants en Guadeloupe et à la Martinique et ce, dans plusieurs des domaines ci-dessus énoncés ?
Autant dire que l’amendement Virapoullé n’aurait jamais dû être voté par le Parlement car il vise à pétrifier ad vitam æternam, contre la logique, la rationalité et le bon sens, le statut départemental dans la seule région monodépartementale française des Mascareignes. C’est dire également qu’une
révision ciblée de la Constitution de la Ve République s’impose par un recours au Parlement convoqué en Congrès à Versailles – sur la base de son article 89, alinéa 3 – afin de le supprimer, dès lors qu’il traduit, selon la formule tout à fait appropriée de Brigitte Girardin, un « manque de confiance manifeste » à l’égard de la communauté réunionnaise dans son ensemble et de ses représentants élus 5 . IV. En vérité, le temps n’est-il pas aujourd’hui venu d’affranchir les initiatives des élus de La Réunion des contraintes engendrées par une politique centralisatrice, une politique jugée en tout cas outrancière dans l’ancienne île Bourbon par les forces politiques de la gauche locale ? Pourquoi en
effet vouloir toujours agiter la peur viscérale de l’aventure, la hantise du largage ou, a fortiori, le « spectre de l’indépendance », s’interroge pour sa part le professeur réunionnais Ferdinand Mélin- Soucramanien, alors même que ses compatriotes, « dans leur très grande majorité, ne ressentent plus
cette crainte irrationnelle et ont pleinement conscience de porter en eux la France et le Monde » 6  ?
L’amendement Virapoullé est fondamentalement humiliant dans la mesure où son initiateur réunionnais – en refusant de reconnaître un pouvoir normatif local à son propre pays – place en quelque sorte La Réunion sous le régime de la curatelle, un régime légal d’assistance qui vise à protéger dans les ordres juridiques internes ceux qu’on appelle les minus habens. Dès lors, l’abolition
de l’amendement Virapoullé est bien la seule et urgente solution qui s’impose si l’on veut que les Réunionnais ne soient plus traités comme des Français de second rang ou des « majeurs incapables ».
La révision constitutionnelle que nous appelons ici de tous nos vœux apparaît même comme un préalable à la création d’une collectivité territoriale unique destinée à se substituer au département et à la région de La Réunion. Elle est en outre nécessaire si l’on veut que les représentants réunionnais disposent des mêmes compétences et responsabilités que leurs homologues guadeloupéens, guyanais, mahorais et martiniquais. Elle est enfin impérative si l’on veut que les élus de La Réunion soient dotés d’une capacité d’initiative effective sur leur île et puissent enfin exercer un pouvoir législatif et règlementaire par habilitation, selon le cas, du pouvoir parlementaire ou de l’autorité gouvernementale.
V. Une dernière question mérite d’être posée. L’amendement du sénateur Jean-Paul Virapoullé qui apparaît actuellement indéboulonnable pourra-t-il un jour être jeté dans la grande poubelle de l’histoire ? Ardemment souhaitée par la gauche réunionnaise progressiste et ce, dès le vote de la loi
constitutionnelle du 28 mars 2003, une telle solution semble aujourd’hui réalisable à la suite du succès remporté le 19 juin 2022, lors du second tour des élections législatives, par les candidats qui s’étaient rangés sous la bannière de la Nouvelle union populaire écologique et sociale (NUPES), créée à l’initiative de Jean-Luc Mélenchon (LFI) 7 . Nul doute que cette nouvelle génération de députés de gauche, au nombre de six sur les sept sièges qui étaient à pourvoir, parlerons d’une même voix pour défendre les intérêts fondamentaux de La Réunion et obtenir – entre autres – la suppression de cette « horreur constitutionnelle » que représente, selon notre collègue en colère, l’éminente professeure.

5 Voir l’interview de Mme Brigitte GIRARDIN, ministre des Outre-mer, in Le Quotidien de La Réunion, mercredi, 16 octobre 2002, p. 9.
6 F. MÉLIN-SOUCRAMANIEN, « La Réunion ne veut plus être traitée en « incapable majeure » par la Constitution », Le Quotidien de
la Réunion, mercredi 23 octobre 2019, p. 5.
7 S. FONTAINE, « La gauche place ses six députés, Nathalie Bassire sauve son siège », Le Quotidien de la Réunion, lundi 20 juin 2022,
p. 2.

4 Anne-Marie Le Pourhiet, l’inconvenant cinquième alinéa de l’article 73 de la Constitution 8 ou, plus
précisément encore, le déraisonnable et méphistophélique amendement Virapoullé.

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Yves Mont-Rouge

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3 Commentaires

  1. Bravo monsieur Oraison, parmi les seuls à penser l’avenir de la Réunion avec brio et un argumentaire solidement étayé. L’amendement Virapoullé est une pure bêtise politicienne qui entrave aujourd’hui le développement social et économique de l’île. Sans aucun doute.

  2. Mr Coupe pa nous doit être rouge de rage en lisant cet article ravageur a son encontre. Pour ma part, les DROM sont intégrés dans la république, il n’ y a pas eu de largage.
    Alors pourquoi la Réunion, sommes nous aussi apeurés a une évolution logique de notre territoire ? Nous lė pa plis, ‘nou lė pa moin, respect a nou.
    Merci Mr Oraison

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