En ce 20 novembre, Journée mondiale des droits de l’enfant, l’UNICEF France publie un rapport intitulé « Grandir dans les Outre-mer : état des lieux des droits de l’enfant » et appelle les pouvoirs publics à des actions ambitieuses pour garantir de manière égale les droits de chaque enfant sur l’ensemble du territoire français.
Ce rapport, issu d’une analyse transverse des politiques publiques, d’une revue statistique et de témoignages inédits, dépeint la situation de quelque 1,2 million d’enfants et met en lumière l’écart frappant qui existe, entre l’Hexagone et les collectivités territoriales d’Outre-mer (CTOM) [1], dans la mise en œuvre de leurs droits.
La pauvreté endémique responsable de conséquences multidimensionnelles
Alors qu’elles rassemblent seulement 3 % de la population nationale, les CTOM abritent 24 % des personnes concernées par une situation de grande pauvreté. A La Réunion, près de la moitié des enfants sont pauvres (46 %). Ce chiffre s’élève à 6 enfants sur 10 en Guyane et 8 sur 10 à Mayotte, tandis qu’il s’élève à 2 sur 10 dans l’Hexagone.
Derrière la richesse des paysages et de la biodiversité, la pauvreté infantile entraîne des conséquences désastreuses sur les conditions de vie et le bien-être des enfants, notamment en termes de suivi de santé, de réussite scolaire ou d’accès à des services de protection. Conjuguée à un éloignement ou à des difficultés d’accès aux biens et services essentiels, cette situation nuit gravement à l’effectivité des droits de l’enfant.
Ainsi, les situations de mal-logement, marqueurs de pauvreté, sont particulièrement révélatrices : on dénombre 30 000 logements indignes en Guadeloupe, 10 000 en Polynésie française, près de 25 000 en Nouvelle-Calédonie, et près de 50 000 à La Réunion et à Mayotte pour un total de 600 000 personnes (soit 3 habitants sur 10) mal-logées dans les collectivités territoriales d’Outre-mer.
Accéder à des soins de santé de qualité
Les conséquences de cette pauvreté endémique sur la santé infantile s’entremêlent à des facteurs environnementaux aggravants – tels que la crise de l’eau qui sévit dans plusieurs territoires particulièrement vulnérables aux effets du changement climatiques – et s’ajoutent à un système de santé défaillant et un taux de non-recours aux soins conséquent. Les répercussions sur la santé physique et mentale des enfants sont particulièrement inquiétantes : le taux de mortalité infantile est nettement supérieur dans les CTOM, atteignant par exemple 8,9 %0 à Mayotte alors qu’il se situe à 3,7 %0 dans l’Hexagone.
Les problématiques des grossesses précoces, de la prise en charge des troubles psychiques ou des maladies d’origine hydrique y sont également exacerbées : en Guyane, 4 jeunes filles sur 10 ont eu leur premier enfant avant leur majorité. Pourtant, 80 % des grossesses survenues avant 20 ans sont non-désirées. Concernant la santé mentale, plus d’un tiers des jeunes Mahorais et Guyanais déclarent souffrir de troubles psychiques ou psychiatriques contre 20 % dans l’Hexagone. Enfin, de nombreuses personnes ne disposent pas d’un accès à l’eau courante à domicile ou sont amenées à consommer une eau impropre ; accentuant les risques d’épidémies et de maladies hydriques, oro-fécales et vectorielles, particulièrement chez les enfants.
Accéder à une éducation de qualité
Concernant l’accès à l’éducation, les CTOM abritent 6 % de la population française en âge scolaire. Cependant, de nombreux enfants demeurent « invisibles » aux yeux des statistiques et ne sont pas scolarisés, notamment en raison de freins administratifs, de pratiques discriminatoires, d’un éloignement géographique avec les établissements scolaires ou d’une prise en compte inadéquate du plurilinguisme des élèves. Malgré l’absence de statistiques nationales sur la question, les estimations indiquent que, en Guyane, près de 10 000 enfants sont hors de l’école et qu’ils seraient entre 5 379 et 9 575 dans cette situation à Mayotte.
Par ailleurs, la question de la langue d’enseignement, inadaptée aux élèves allophones, entraîne des répercussions directes sur les compétences et la réussite scolaire des jeunes. En Guadeloupe, à la Réunion et en Martinique, près de 30 % des élèves présentent des difficultés de lecture et ils sont plus de 50 % en Guyane et à Mayotte contre seulement 12 % des garçons et 9,1 % des filles au niveau national.
Bénéficier d’une protection adaptée
La grande précarité économique, la promiscuité dans les logements, les taux d’addictions élevés et la persistance, dans certaines familles, d’un modèle éducatif où demeurent des violences éducatives ordinaires, expliquent la prévalence des violences intrafamiliales dans les CTOM et les DROM où ce taux s’élève à respectivement 6,5 %0 et 4 %0 tandis qu’il se situe à 2,7 %0 dans l’Hexagone ; des données probablement sous-estimées en raison d’un plus faible recours au signalement des situations préoccupantes. Les violences sexuelles et sexistes y sont également exacerbées. Malheureusement, les dispositifs de protection de l’enfance peinent à accomplir leur mission, faute de moyens suffisants.
Pour les enfants d’origine étrangère ou en situation de migration – et bien qu’ils devraient bénéficier de mesures de protection spéciales – les régimes dérogatoires appliqués dans les CTOM sont souvent discriminatoires et les rendent particulièrement sujets aux violations de leurs droits. Par ailleurs, et malgré plusieurs condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), la France continue d‘avoir recours à l’enfermement administratif des familles avec enfants ainsi que des mineurs isolés dans la mise en œuvre de sa politique migratoire. Cette dérogation à la loi est particulièrement courante à Mayotte : en 2021, sur les 3 211 enfants enfermés en rétention en France, 3 135 l’ont été au centre de rétention de Mayotte.
Une prise de conscience nécessaire pour des engagements forts
Le constat d’un écart entre l’Hexagone et les CTOM est frappant et il est urgent d’agir. Dans cette optique, l’UNICEF France conclut ce rapport par une série de recommandations politiques fortes à destination des pouvoirs publics locaux et nationaux afin que des pistes d’actions concrètes pour une meilleure prise en compte des besoins et une meilleure effectivité des droits des enfants dans ces collectivités puissent voir le jour.
« Ces inégalités au sein du territoire français sont alarmantes. Les pouvoirs publics se doivent de garantir un égal accès aux droits de tous les enfants sur le territoire, indépendamment de leur lieu de résidence. Agir pour l’effectivité des droits de l’enfant n’est pas seulement un moyen de construire une société plus juste aujourd’hui, mais un investissement pour construire nos sociétés de demain », déclare Adeline Hazan, présidente de l’UNICEF France.