Station de traitement des effluents d’élevage Salazie : 3 personnes placées sous contrôle judiciaire

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Dans un communiqué, la procureure de la République du tribunal de Saint-Pierre, fait le point sur l’affaire de la station de traitement des effluents d’élevage de Salazie. « Les élevages – en particulier intensifs – sont susceptibles de créer une palette de pollutions affectant à la fois le milieu naturel (sols, eaux), la faune et la flore. Cet environnement pollué et persistant pourrait avoir des impacts sur la qualité de vie de l’Homme au regard des bénéfices apportés par ce dernier qui va au-delà de la production animale d’alimentation.

L’élevage avicole et porcin, utilise une supplémentation en céréales des animaux d’élevage. Or, ces céréales pour être produites peuvent recevoir des quantités importantes de pesticides ou d’engrais riches en azote et en phosphore permettant à dose raisonnable une bonne croissance des céréales. Toutefois, une partie de ces
substances peuvent s’accumuler dans les sols et nappes phréatiques et atteindre des taux empêchant alors à la fois la régénération des sols, la pousse des plantes et entraînant la pollution des eaux.

Les animaux d’élevage produisent chaque jour de grandes quantités de déchets riches en azote et en phosphore. Ceci peut être une bonne chose : les déchets d’origine animale peuvent en effet servir de fumier et reconstituer le sol de certains nutriments.

Le lisier avant de devenir un engrais doit subir différents traitements permettant notamment de contrôler les taux d’azote et phosphore, le PH et bien d’autres éléments s’assurant des apports bénéfiques de ces substances et évitant de ce fait une pollution des milieux.

C’est pourquoi dans le cadre du traitement des effluents d’élevage, des plans d’épandage stricts des effluents traités sont appliqués afin de préserver les capacités régénératives du milieu (sol) et éviter toute pollution qu’il serait difficile voire impossible de réparer. Un ensemble de normes et taux régissent le fonctionnement des stations de traitements des effluents. Ils sont regroupés au sein d’un arrêté d’autorisation d’exploiter une installation classée pour la protection de l’environnement (ICPE) détaillant les points de contrôle et les seuils à ne pas dépasser notamment afin de préserver le milieu.

L’azote et le phosphore peuvent être à l’origine de graves problèmes, quand par exemple ils se retrouvent dans les cours d’eau. Cela provoque la prolifération d’algues qui monopolise l’oxygène présent dans l’eau, ce qui peut tuer les plantes et les animaux. Une partie de l’azote peut devenir gazeux, se transformant en
ammoniac par exemple, ce qui a pour conséquence d’acidifier les eaux sur le lieu même de l’accumulation mais également sur de grandes distances de part le cycle de l’eau et porter atteinte à la couche d’ozone. L’être humain peut être directement impacté car la qualité des approvisionnements en eau peut être menacée.

Historique de la station de traitement des effluents d’élevage de Grand Ilet:
A La Réunion, dans le cirque de Salazie, la station de traitement des effluents d’élevage de Grand Ilet est installée depuis 2010. Cette dernière est destinée à traiter l’ensemble des effluents d’élevage de Grand Ilet (point d’orgue économique du territoire salazien) et stopper la pratique de l’époque qui consistait à ne pas
traiter ses effluents au risque de les retrouver dans les milieux emportés notamment par les pluies dans les cours d’eau.

Afin de garantir une station de traitement efficace qui préserve la nature et aide les éleveurs et agriculteurs salaziens, la station est encadrée par un arrêté préfectoral d’autorisation en tant qu’installation classée pour la protection de l’environnement datant de 2011.

Ainsi la station Camp Pierrot, est créé à l’initiative de la SAS Camp Pierrot qui délègue toutefois l’exploitation de cette dernière à la Coopérative de Traitements des Effluents d’Élevage de Grand Ilet (CTEEGI). Au regard des enjeux d’une telle installation, de la localisation du site, et son régime d’exploitation (autorisation ICPE), la station devait être particulièrement suivie tant par les administrations en charge de la surveillance, de la protection de l’environnement, des biens et des personnes que par les administrateurs du site et les bénéficiaires du cirque, les uns par obligation légale, les autres afin de s’assurer que la mise en place
de cette filière lisier « éco-responsable » locale satisfasse pleinement à sa fonction.

Durant ces onze dernières années, des manquements réguliers sont notés dans la surveillance (absence de mesures, absence de plan d’épandage, absence d’agrément pour la vente de fertilisant sous-produit animaux, absence de normes du compost) sans toutefois que le volet pénal ne soit activé. C’est lorsque cela atteint un
point de non retour en 2021, et que l’urgence environnementale est notée à la fois par la police de l’environnement (BNOI et DAAF) et la fédération de la pêche qui dépose une plainte, que l’affaire se judiciarise au travers de la saisine du Parquet de Saint-Pierre.

Le parquet de St Pierre suit à double titre la question du traitement des effluents d’élevage de Salazie:

– dans le cadre de la procédure devant le tribunal mixte de commerce (préservation de l’ordre public économique)

Alerté par la dégradation de la situation financière de la SAS camp pierrot depuis plusieurs années, le parquet de St Pierre a saisi le tribunal mixte de commerce d’une requête aux fins d’ouverture d’une procédure collective en mars 2021. La procédure de redressement judiciaire était ouverte puis étendue à la CTEEGI Le
tribunal désignait un administrateur judiciaire. Celui-ci voyait sa mission étendue à tous les actes de gestion, suite au placement sous contrôle judiciaire avec interdiction de gérer des dirigeants de la CTEEGI et de l’interdiction d’aller sur site des dirigeants de camp pierrot.

L’objectif du parquet dans le cadre de cette procédure commerciale est la mise en conformité de la station pour préserver les enjeux environnementaux et la sauvegarde de l’activité d’élevage à Salazie en trouvant un plan pour apurer le passif de la société.

A ce titre, après qu’une période exceptionnelle d’observation soit ouverte sur réquisitions du parquet, un plan de redressement judiciaire a pu être proposé par l’administrateur provisoire de la SAS CAMP PIERROT et la CTEEGI, plan pour lequel le parquet a donné un avis favorable tout en exigeant des garanties fortes pour
en assurer sa bonne exécution.

– Dans le cadre de la procédure devant le tribunal correctionnel, deux axes ont été poursuivis par le parquet : d’une part, les atteintes à l’environnement, ayant comme objectif la préservation de l’ordre public écologique, et d’autre part, des infractions économico-financières, dans le cadre de la préservation de l’ordre public économique.

Après un premier renvoi dans le dossier environnement, les deux affaires ont été fixées pour être jugées à l’audience du 02 mars 2023.
S’agissant du volet écologique , il convient de rappeler que, par décret du 16 mars 2021, le tribunal judiciaire de St Pierre a été désigné pôle régional spécialisé en matière d’atteinte à l’environnement. Il est donc amené à traiter les affaires complexes d’atteintes à l’environnement, comme celle du traitement des
effluents d’élevage de Salazie.

Un contrôle conjoint réalisé par la Brigade Nature Océan Indien (BNOI) et la DAAF opéré au mois de mars 2021 a mis en évidence une urgence environnementale et une situation particulièrement alarmante concernant la station « CAMP PIERROT », exploitée par la Coopérative de Traitements des Effluents d’élevage de Grand Ilet (C.T.E.E.G.I), la station en question étant une I.C.P.E. (Installation Classée Protection de l’Environnement) soumise à autorisation.

Suite à ce contrôle, plusieurs décisions administratives ont été prises, mais sont restées sans effet, donnant lieu à l’ouverture d’une enquête judiciaire, confiée en co-saisine à l’Office Central de Lutte contre les Atteintes à l’Environnement et à la Santé Publique (OCLAESP) et la BNOI, à l’origine des constatations.
Plusieurs infractions, au code pénal, au code de l’environnement, au code rural et de l’urbanisme ont ainsi été relevées à l’encontre de la personne morale mais également des dirigeants de CTEEGI: la structure apparaissait sous dimensionnée pour traiter tous les effluents d’élevage, ce qui a conduit à des déversements sauvages des effluents porcins comme avicoles pendant des années dans les ravines autour, avec ruissellement dans les sols et les cours d’eau.

Ainsi, trois personnes ont été placées sous contrôle judiciaire et renvoyées devant le tribunal, pour avoir déversé par négligence dans les ravines AZAYE, CAMP PIERROT et GRAND SABLE, affluents de la rivière FLEUR JAUNE des effluents d’élevage (déjections) non traités, avoir épandu sur des parcelles non prévues à cet effet des effluents d’élevage non traités ou ne répondant pas aux normes fixées par arrêté préfectoral d’autorisation sur le territoire de Salazie mais au-delà également sur les communes de Sainte Suzanne et Saint André, avoir vendu sous l’appellation « compost » un déchets non normé et donc sans autorisation ni agrément, et enfin d’avoir poursuivi toutes ces activités malgré les alertes administratives (arrêtés préfectoraux de mise en demeure) jusqu’à ce qu’un arrêté préfectoral d’interdiction d’épandage soit mis en œuvre par l’administration en septembre 2021. Par ailleurs, alors que l’île connaît une interdiction générale de défricher pour notamment participer à la réduction de l’érosion des sols sur un territoire particulièrement escarpé et sujet aux coulées de boue (conséquences allant du sommet des montagnes aux battants des lames avec le relief réunionnais), une parcelle en zone rouge du plan de prévention des risques naturels a été défrichée afin d’épandre du lisier non traité en quantité anormalement importante. Cela en plus d’être interdit est venu accentuer la pollution des eaux au regard de la localisation de cette parcelle de plusieurs centaines de mètres carrés à proximité d’un cours d’eau.

Bien qu’il soit convenu qu’un site de traitement des effluents d’élevage soit nécessaire à Salazie pour qu’une solution pérenne soit mise en œuvre à Grand Ilet, la question de la responsabilité de ces atteintes durables à l’environnement sur plusieurs décennies sera l’objet du débat en audience.

S’agissant du volet économique pénal, l’enquête diligentée par la section de recherches de Saint Denis a mis en exergue d’importants dysfonctionnements et des irrégularités financières entre la SAS CAMP PIERROT et la CTEEGI, notamment un appauvrissement de la première au bénéfice de la seconde, ayant
comme conséquence l’ouverture de la procédure collective et une conversion en redressement judiciaire par jugement en date du 24 août 2021, avec une date de cessation de paiements fixée au maximum égal de 18 mois. Le total du passif déclaré dans le cadre de la procédure collective dépasse les 3 millions d’euros, dont
environ 1 200 000 de dettes de loyers impayés par la CTEEGI.

Ainsi, le président de la SAS CAMP PIERROT a été renvoyé devant le tribunal correctionnel pour des faits d’abus de biens sociaux et banqueroute, ces infractions visant à réprimer les comportements des dirigeants qui, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre entreprise dans laquelle ils sont intéressés
directement ou indirectement, prennent des décisions contraires à l’intérêt social. Vu les enjeux majeurs dans ce dossier, ce type d’infraction créée nécessairement un déséquilibre dans le tissu économique de l’ile. »

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