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Au Conseil Départemental, tout domoune sé d’moune !

11 min de lecture

Le SNT, ainsi que le syndicat des assistantes maternelles et des Familles d’accueil (SAMFFA 974) souhaitent porter à votre connaissance la tribune libre parue dans la presse fin septembre 2023 (voir ci-dessous).

En effet, suite à la récente agression de nos collègues agents du Conseil départemental dans le sud de l’île, à qui nous avons présenté notre soutien sans faille et nos vœux de meilleur rétablissement, et en temps que représentants actifs du personnel au sein du Département, nous appelons à la mobilisation pour une journée noire le lundi 09 octobre 2023 à partir de 9h30 au Jardin de l’Etat avec fermeture des services départementaux hors services d’urgence particuliers.

Nous lançons ce cri d’alerte et de rassemblement au nom de tous nos collègues victimes d’agression, et en signe fort de solidarité à nos deux collègues récemment blessées pour dire stop à la souffrance et à la violence au travail.

En sa qualité de chef de file de l’action sociale, nous avons sollicité Mr MELCHIOR afin de venir nous rejoindre ce jour là pour s’exprimer lui aussi sur l’état de la situation de la violence à La REUNION. Nous restons dans l’attente de son positionnement.

Le mot d’ordre: ni banaliser, ni normaliser, mais agir et refonder autrement et ensemble. En ce sens, un livre blanc sera ouvert pour permettre à chacun de s’exprimer sur leurs réalités professionnelles concernant les faits de violence, et pour coconstruire des pistes et des propositions d’amélioration.

La tribune :

Suite à la récente agression de deux agents du Département, nous adressons tout d’abord notre soutien sans faille et notre plus entière sympathie aux deux professionnelles concernées. Au nom du Syndicat National des Territoriaux (SNT/CFECGC) et du Syndicat des Assistantes Maternelles et des Familles d’Accueil (SAMFFA974), nous leur présentons avec beaucoup d’émotion toute notre solidarité ainsi que nos vœux de meilleur rétablissement. 

Avant que cet acte inacceptable ne soit malheureusement chassé par d’autres faits d’actualités tout aussi graves (harcèlement scolaire, suicides de jeunes adolescents), nous tenons aujourd’hui à écrire une lettre à cœur ouvert aux Réunionnais et Réunionnaises, in vré fonnkèr, po sak i gagn é sak y veu rouv lo zié, sans hésitations, sans détours et sans complaisance aucune

Paré, pa paré..?

Qu’il s’agisse du personnel administratif à l’accueil, d’un travailleur social, d’une Assistante Familiale ou des psychologues, les incivilités, les intimidations, les menaces et autres insultes du public accueillis ont depuis belle lurette monnaie courante. Cellesci sont rarement consignés dans les registres appropriés, encore moins accompagnés de main courante ou de rappel à l’ordre par les autorités concernées. Visibles ou non, elles alimentent historiquement un climat d’insécurité en perpétuel état de décomposition. L’Institution ne semble malheureusement pas en capacité de garantir la sécurité des biens et des personnes et de se placer à la hauteur de ses obligations règlementaires. Le débat de fond sur les moyens humains à mobiliser, la formation continue, l’éducation populaire et l’effectivité des politiques de prévention n’a pu aboutir. Au quotidien, les établissements accueillant du public ouvrent chaque jour, en priant que rien de grave ne se passe. Il faut souvent attendre une agression pour qu’un médiateur, un agent de convivialité, voire au meilleur des cas, un vigile puisse être affecté pendant quelques jours ou semaines sur site. Toutes proportions gardées, cette situation n’est pas propre au Conseil Départemental.

Mais revenons plutôt aux deux personnes ont été touchées dans leur chair et dans leur esprit, dans l’exercice d’une mission de service public, au service du public Réunionnais. Pour mieux comprendre ce qui arrive aujourd’hui, rien de tel qu’un focus et kaléidoscope des réalités des corps de métier concernés.

Paroles, engagements, désarrois et limites de professionnels, au Département.

Sans réserves aucunes, les assistantes familiales et maternelles dénoncent et condamnent unanimement l’agression subie par les deux travailleurs sociaux, sur la Rivière Saint Louis

« Nous regrettons fortement cet acte qui malheureusement n’est pas isolé….», explique Mme Marie LEBON, Secrétaire Générale du SAMFFA974. Nombre de nos professionnels « ont la boule au ventre quand il s’agit d’accompagner les enfants placés, tant le risque est grand. Chaque jour, elles subissent aussi des agressions verbales, physiques et morales. Certaines en sont malades, d’autres en sont mortes. A aucun moment, Mr le Président du Département ne s’est soucié du sort des assistantes familiales».

Mme Mireille K, Assistante Familialedepuis plus de 20 ans affirme que « depuis plusieurs années, nous sommes nous aussi en difficultés […] Nous devons jongler tel un équilibriste sur un fil et apporter des solutions tous les jours afin que la cohabitation avec d’autres enfants présents à notre domicile se passe pour le mieuxEt parfois, la relation avec les parents est difficile…».

Un métier qui se complique fortement, en raison d’une mécanique froide et réglementaire relative aux Informations Préoccupantes (IP), qui jette sans hésitation la suspicion la plus totale sur ces professionnels, qui deviennent du jour au lendemain auteurs présumés d’actes répréhensibles sur les mineurs leur étant confiés.

À tout moment, comme le rappelle Mme Iréne H, Assfam depuis 17 ans « un information préoccupante i pé arivé, é nou pèrd nout salèr ou nout travay. Zordi kom demin ou retrouve a ou devan tribunal èk ote mari, ou ote fami… lé vite fé, oui… ».

Certaine de ne pouvoir tout attendre de l’employeur, Mme M.LEBON prévient :« même si notre métier va mal c’est avec beaucoup de bienveillance et d’amour que nous nous occupons des enfants qui nous sont confiés… Vous savez, ils n’entrent pas que dans notre maison. Ils font partie à un moment de votre vie personnelle, familiale et affective…».

Et malgré les orages et les tempêtes « nous y croyons, nous mettons tout notre cœur pour que l’accompagnement se passe bienPersonne ne peut voir l’accident arriver, mais quand ça arrive, c’est le professionnel qui s’en prend plein la figure…».

Du côté des professionnels intramuros, paroles cette fois aux travailleurs sociaux.

Mme Toolsy JEANNE, Educatrice Spécialisée au Placement Familial depuis plus de 25 ans, Présidente du SNT, retrace son parcours et les évolutions des organisations de travail internes : « à l’époque, quand j’ai pris mon poste je devais m’occuper de 25 enfants et 10 familles. C’était le quota maxi »

Et aujourd’hui ?

Gilette G, Assistante Sociale, se dit inquiète : « Je suis théoriquement à 37h30 par semaine. Quand je fais le compte je suis audelà. Je ramène des dossiers à la maison afin de boucler mes rapports d’évaluation en vue de l’audience, chaque semaine. Ma semaine de travail dépasse les 50 heures hebdomadaires. Tu le crois, ça ? Aujourd’hui, le plafond officiel maxi c’est 60 mesures par an par travailleur social, sauf que personne ne compte les situations de la même manière, sur un même Territoire d’Action Sociale (TAS) ou entre les TAS ». Vous êtes référent de combien de situations actuellement ?

Mr GERTRUDE J., Assistant Social en milieu ouvert : « Plus de 60 [rires]... La hiérarchie déconsidère nos chiffres et nous demande en off de ne pas comptabiliser certains actes d’accompagnement ou d’évaluation professionnels. On est en Septembre et j’ai des collègues qui sont déjà à plus de 70 mesures. Je suis contractuel, on me demande d’être partout et ça m’empêche de faire mon travail correctement…En réunion de service, personne n’ose dénoncer les choses, certains ont peur, d’autres sont découragés. Sauf que si je vois pas la famille ou l’enfant au moins une fois tous les dix jours, la situation et les relations se
dégradent vite ».

Pour les travailleurs sociaux, précisent ces deux professionnels, « prendre le temps pour faire un accompagnement de qualité sur la durée suppose que le référent soit disponible, et que des effectifs et des moyens suffisants soient mis à disposition

Une urgence pourrait ainsi cacher ou en chasser une autre : « on nous demande de naviguer à vue et de gérer sans moyens. Ben on finit par se sentir impuissant. Si une situation se dégrade et qu’on n’est pas là à temps, notre responsabilité professionnelle est engagée devant un tribunal. Sauf que ma hiérarchie va aussi me tomber dessus. Double risque, double peine, et il y a aussi la culpabilité que tu auras si jamais il arrive quelque chose de grave à l’enfant dont tu es référent… »

Pour ces professionnels, la disponibilité est un atout majeur dans le cadre de l’accompagnement à l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) : « nous nous occupons de l’humain et non pas d’un matricule, sur un dossier. Comment ne pas se sentir coupable quand je n’ai pas le temps matériel pour mener de la manière qui convientmes obligations professionnelles ? »

Illustrations d’une démarche de placement pour un enfant mineur, selon Mme Toolsy JEANNE : « il faut chercher une place d’accueil, c’est un parcours de combattant. Il est 18 heures et toujours aucune possibilité de prise en charge. La décision judiciaire de placement ne peut être remise au lendemain. Parfois, jedois demander une dérogation de capacité d’accueil chez une Assfam. Les démarches administratives s’enchainent pour décrocher une place. Après plusieurs appels auprès des familles d’accueil, une solution est enfin trouvée. Il est presque 19h30 je prends sur moi d’aller lui chercher à manger. Tout le monde parle à l’enfant… Il est plus qu’épuisé et abasourdi par ce qui lui arrive. Je l’accompagne physiquement en voiture chez sa famille d’accueil. Le temps de le remettre à l’Assfam, de vérifier que rien ne manque… Je reviens chez moi vers 21h ou 22h, alors que ma journée se termine à 16h. Le lendemain, première heure, la famille, la hiérarchie ou un partenaire me demande déjà comment ça s’est passé… ».

Enfin, pour Mme Chantal H., Assistante sociale en service de Polyvalence/Prévention/Insertion : « J’en peux plus…, l’Accueil Social Dédié (ASD) et la déterritorialisation des secteurs d’intervention, parlonsen ! Depuis la modernisation des services, le cœur de métier est piétiné. L’accompagnement au rythme de la personne, la
prévention et les actions collectives ne sont plus être réalisées […] On doit faire un Accueil Inconditionnel de Proximité…Résultats, la Polyvalence/insertion gère tout au pied levé. Ca n’arrête pas. On nous demande de prioriser le Contrat d’Accompagnement Social (CAS) et le Contrat d’Engagement Réciproque (CER). Faut faire du chiffre. Ca n’a pas de sens…C’est inscrit noir sur blanc dans les orientations de travail et dans le dialogue de gestion. Si t’as
pas assez de contrats d’accompagnement chaque mois, ton poste sera réaffecté ailleurs, et toi tu sautes »

Etat des lieux contradictoire

En réponse à l’inadaptation des effectifs et des moyens de travail, nous assistons à l’augmentation fulgurante des congés maladie et des congés pour longue maladie, ou encore des mitemps pour raison thérapeutique. Le malêtre des agents du Département se généralise, s’amplifie, comme le souligne Jessica IMAHOICHIZA, éducatrice spécialisée : « ce sont parfois des équipes entières qui sont en arrêt en même temps. Les plus fragiles partent en burnout. C’est un épuisement professionnel et un stress permanent car ils ne peuvent plus supporter de travailler dans le nonrespect de leurs valeurs professionnelles. On n’a pas signé pour ça !Les consultations à la médecine de travail avec le médecin de prévention ou la psychologue du travail explosent ».

Questionné par les représentants du personnel, l’employeur entend depuis donner la part belle à la Prévention des Risques psychosociaux (RPS), à la Qualité de Vie au Travail (QVT) et aux Lignes Directrices de Gestion (LDG) pour palier (sur le papier) les problématiques d’effectifs manquants, la promotion de la santé au travail et de la sorte. La transcription de ces impératifs dans les organisations de travail tarde à se faire sentir.

Autant de sujets expertisés à prix d’or par les cabinets d’audit métropolitains dépêchés et choisis par le Département (Cabinet MENSIA, NERIA, KPMG etc.), mais dont les rapports finaux et autres livrables intermédiaires n’ont jamais été transmis aux acteurs sociaux… 

Un dialogue social souvent respecté dans ses attendus réglementaires, mais dont l’esprit, la gestion et les effets attendus sont de longue date largement étouffés par une gouvernance de projet dont le Conseil Départemental garde précieusement le contrôle, jusqu’à ce que surviennent les accidents de travail, le burnout, les grèves de personnels et plus grave encore, l’agression de nos agents sur la place publique...
En guise de perspectives positives et fédératrices…

Nous devons travailler en étroite collaboration avec l’administration et les autorités compétentes pour garantir que des mesures efficaces soient prises pour assurer la sécurité de tous les agents. Cela inclut la mise en place de protocoles de sécurité renforcés, la sensibilisation du public aux conséquences de la violence envers les agents de la collectivité et leur responsabilisation systématique au devant des tribunaux, sans oublier l’accentuation du soutien juridique et psychologique aux victimes.

Nous devons également encourager un dialogue ouvert au sein de notre collectivité territoriale pour sensibiliser sur ce problème et promouvoir le respect mutuel. L’éducation populaire et les campagnes régulières de prévention, longtemps oubliées, sont essentielles pour créer un environnement de travail plus sûr pour tous.

En tant que représentants actifs du personnel, le SNT et le SAMFFA974 s’engagent à représenter les droits et intérêts de nos collègues victimes d’agression physique et à travailler sans relâche pour faire entendre leur voix. Nous vous encourageons tous à vous joindre aux représentants du personnel dans cet engagement, car ensemble, nous avons le pouvoir de faire une réelle différence.

N’oublions jamais que nous sommes une équipe, une communauté unie par notre dévouement à servir l’intérêt public, au sein de notre collectivité. En nous soutenant mutuellement dans les moments difficiles, nous renforçons notre unité et notre capacité à surmonter les défis qui se présentent à nous.

Au nom de tous nos collègues victimes d’agressions et en signe fort de solidarité pour nos deux collègues récemment blessées, nous proposons à la population Réunionnaise, à l’Autorité administrative, aux élus départementaux et à toutes les organisations syndicales internes, sans oublier l’ensemble des agents une journée noire, suivie d’une marche de manifestation contre les violences, avec fermeture de l’ensemble des services départementaux, hors services d’urgences particuliers, le 9 Octobre prochain (lieux et modalités à fixer).

Audelà de l’aspect médiatique et sociétal, la présente proposition n’exclut évidemment d’aucune manière la nécessité de dépêcher au plus tôt la programmation :

  • D’Etats Généraux de l’Action Sociale au Conseil Départemental, incluant l’ensemble des corps de métier et des acteurs concernés, internes comme externes
  • D’un Livre Blanc de l’Action Sociale, ouvert aux témoignages et à la participation des agents, des jeunes, des familles, des autorités judiciaires et des partenaires extérieurs, eu égard aux diverses réalités et au besoin collectif d’empêcher de nouvelles manifestations de ces violences, d’objectiver les mesures actuelles et leurs limites, pour mieux reconstruire notre pacte/modèle social et notre bien, ou mieux vivre ensemble.

Merci à vous tous pour votre soutien et votre engagement pour la sécurité et le bienêtre de nos collègues. Ensemble, nous pouvons créer un environnement de travail où chacun se sent à sa place, en sécurité et respecté. 

Avec toute notre solidarité et soutien,
Mme Toolsy JEANNE Mme Marie LEBON

Présidente du SNT Présidente du SAMFFA

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