Nous poursuivons notre série de portraits consacrée aux « Ti Nouveaux », c’est-à-dire aux élus (es) dont c’est quasiment le premier mandat au Département ou à la Région. Nous vous invitons aujourd’hui à faire de plus amples connaissances avec la conseillère départementale Julie Aroubani (Saint-André), 38 ans, élue le 27 juin dernier. Elle était la binôme de René Sotaca, conseiller départemental communiste sortant de Sainte-Suzanne.
Son enfance : « promis, juré, je ne ferai jamais de politique ! »
« J’ai vu le jour en 1983. Mon père s’appelle Evenor Aroubani. Ma mère, Marie Paule. J’ai un frère, Didier et une sœur, Laurence. Ils vivent à Chemin du centre « Ti Bazar » à St André
Cette année-là, en 1983, deux grands événements occupent la vie de la famille Aroubani. Un bébé qui arrive bientôt (moi) et la campagne municipale de Laurent Vergès (décédé depuis 1988) sur Saint- André bat son plein. Selon feu Laurent Vergès (le fils de Paul, fondateur du Parti communiste réunionnais/PCR), qui était proche des mes parents, ce bébé arrivera le 6 mars 1983, le jour de l’élection. Il demanda alors à mes parents de prénommer ce futur bébé Victoire. Je vis le jour, le 3 mars, soit trois jours avant la date du scrutin. Et malheureusement, Laurent Vergès perd les élections face à Jean-Paul Virapoullé aux municipales du 6 mars 1983.
Mes parents décidèrent alors de m’appeler non pas Victoire, ni défaite mais Julie, tout simplement. Vous l’aurez compris, je suis née dans une famille de militants communistes. Mon père était le chauffeur du maire communiste de Sainte Rose, Ary Payet. D’aussi loin que je m’en souvienne, ils étaient inséparables. Et toute mon enfance a été donc bercée par les « réunions », les fêtes Témoignages, de longues discussions très profondes et très sérieuses. Le souvenir le plus présent, en tout cas, celui qui a façonné la petite Julie de l’époque, est celui des femmes militantes, notamment Mme Mara. Elles font pour la plupart 1,60 m à tout casser et je les vois là gérer marmaille, kaz, famille et surtout remplies de force et de convictions. Elles parlent, elles ont un avis sur tout et elles ont bien l’intention de le faire entendre ! Je comprends également, beaucoup plus tard, que le plus grand militant de la famille n’était pas mon père. C’était bien ma mère qui, elle, ne travaillait pas, mais devait gérer toute la logistique familiale en plus de celle du militantisme de mon père. Comme j’aime à le dire « Avec rien, elle faisait tout ». Le militantisme, le PCR, les gens m’ayant privée de la présence de mon père. Je m’étais dit, « promis, juré, je ne ferai jamais de politique ! ».
Son parcours scolaire et universitaire : « BTS et licence en Assurances »
« Je suis scolarisée à l’école primaire de Ti Bazar, puis je vais au collège de Cambuston, et au lycée Sarda Garriga à Saint-André. Après le Lycée, je fais un BTS Assurance au lycée Le Verger à Sainte-Marie. Mon BTS en poche, je pars pour la métropole. Je continue une licence en Assurances dans une école privée, L’ENASS (Ecole Nationale des Assurances – Paris 9ème). Je reste à Paris encore trois ans, après ma licence et le besoin de rentrer dans mon péï, auprès des miens, se faisant de plus en plus fort, je reviens chez moi en 2007″.
Sa situation professionnelle : « « Experte en analyse et gestion du risque d’incendie et d’explosion »
« Je trouve facilement du travail en rentrant et me spécialise en assurances des risques industriels. Quelques années plus tard, je complète mon expérience très technique par une formation en parallèle sur la maîtrise du risque incendie, validée par un titre européen me permettant de devenir « Expert en analyse et gestion du risque d’incendie et d’explosion ».
Mon expérience métropolitaine déclenche un sentiment endormi. Peut-être ne suis-je pas française pourtant ? Si je le suis d’où vient ce décalage avec les métropolitains ? Pourquoi quand le monde s’ouvre à moi, je ne ressens que le besoin de retourner sur mon petit caillou ? Aurais-je un truc à régler là-bas ? En revenant, gros besoin d’appartenance culturelle, je m’engage donc dans le milieu culturel : danse, musique, artisanat. Et d’expérience en expérience, de rencontres en rencontres, mes « boubous » se remettent à saigner. Pour les guérir, je me regarde de haut, Moi, ma structure familiale, ma structure sociétale. Et à travers mes propres blessures, les liens se font avec ceux de mon péï. Je découvre à ce moment-là, ma première passion, l’écriture. J’écris sur tout ce que je vois, je ressens « su boubou nout péï».
Naturellement je partage mes analyses, via les milieux associatifs dans un premier temps. Des espaces d’échange se créent. Une autre évidence apparaît, je m’engage à trouver les remèdes pour apaiser nos maux : l’injustice sociale, la violence, l’inceste, les grossesses précoces, sentiment d’infériorité par rapport à certains et de supériorité à d’autres, la place de la femme, la place du kaf, etc. etc ».
Sa situation familiale : mère célibataire
« Je suis maman célibataire d’un garçon ».
Son engagement politique : « j’ai commencé le combat politique avec Croire et Oser… »
« Croire et Oser me propose en 2017 » d’être la binôme d’Alek (Alexandre Laï Kane Cheong) sur la 6ème circonscription aux élections législatives. Malgré ma promesse, lorsque j’étais enfant, à savoir « jamais de politique », je retrouve grâce à Croire et Oser, l’espoir d’une alternative. Une alternative rafraîchissante aux politiciens qui ont oublié la population depuis longtemps et qui sont à la recherche de cumuls de mandats, de titres pompeux et assoiffés de pouvoir. Cet espoir finit par s’essouffler fin 2020, et il est temps d’arrêter cette belle aventure. Quelques mois avant les élections départementales de 2021, René Sotaca, conseiller départemental sortant, me propose de travailler avec lui sur une liste ouverte sur le canton 4 (Sainte-Suzanne/Cambuston à Saint-André).
Après un temps de réflexion, j’accepte sa proposition. Si certains de mes espoirs sont ébréchés, d’autres déchus, il reste mes projets. Et puis travailler en partenariat avec le PCR, c’est finalement refaire quelques pas dans la maison dans laquelle j’ai grandi. Le mandat de conseiller départemental correspond aux thématiques qui me tiennent à cœur : la famille, l’enfance, la femme…Nous avons donc été élus en juin 2021. Mon premier mandat ».
Ses ambitions politiques : « députée, un mandat qui me ressemblerait »
« J’espère déjà qu’un millier de jeunes attend derrière pour prendre nos places. Parce que j’ai dénoncé ceux qui restent trop longtemps sur les mêmes et plusieurs mandats, mes ambitions électorales sont donc très raisonnables. Un autre mandat qui me ressemblerait serait celui de députée. Mais ti pa ti pa, l’un après l’autre…
Mes ambitions politiques sont grandes. J’espère faire rappeler à la classe politique que la population existe encore, qu’il n’y a plus de place pour vos arrangements familiaux et amicaux, plus de place pour vos sentiments de vanité et d’impunité. Il faut faire place au bon sens. Que faîtes-vous de tous ces mandats quand tant d’autres n’ont rien ? «
Ce qu’elle espère changer avec son mandat : « nous ne pouvons faire des projets sans la population »
« Nous devons trouver des solutions efficientes, faire fonctionner au mieux la multitude de dispositifs qui existe. Quand je vois l’énergie déployée par les « vieux » pour placer leur enfant, je ne peux m’empêcher de me demander qu’est-ce que cela aurait donné si cette énergie avait été mise au service de la population. J’espère profondément faire prendre conscience à ceux qui sont en place depuis quelques temps que derrière tous ces rapports de 400 pages, en dehors nos belles salles d’assemblée, il y a des êtres humains et que nous ne pouvons faire des projets pour eux sans eux ».
Propos recueillis par Yves Mont-Rouge